Citez vos
sources !
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Pourquoi, dans un commentaire d’œuvre ou une analyse plastique, je recommande et intime de citer ses sources…
Citez impérativement vos
sources !! Sinon, des affirmations intempestives et sujettes à caution vous
seront attribuées et votre commentaire sera taxé de pédantisme et de fatuité (
puisque vous vous placez en expert/e ), car ce qu’on excuse (et encore… ça
dépend) de vieux spécialistes pétris d’expériences ayant travaillé toute leur
vie sur un sujet et qui supposent leur œuvre connu est insupportable dans un
commentaire d’élève qui a alors l’air en plus de faire la leçon au prof, mais
sans rien démontrer ni argumenter.
Ce qui peut donner :
L'art n'est pas autre chose qu'une
création autonome et séparée du réel…
à merci,
cher élève, de cette leçon d’art ! J .
Citez plutôt l’auteur de cette sentence, et je pourrais voir de quoi il est
question (… si d’aventure, vous en êtes vraiment l’auteur(e), alors ayez
l’humilité d’expliquer ce que vous entendez par autonome et séparée
du réel, et aussi ce qu'est pour vous le réel).
Un exemple.
Ainsi : les avis divergent
sérieusement sur Les Demoiselles d'Avignon de Picasso. Et ce qu'on lira,
de surcroît, dans un ouvrage généraliste destiné à la jeunesse ou un dictionnaire
familial n'a pas à figurer dans un devoir de Terminale consacré exclusivement à
cette ouvre !
Certaines généralités, sorties de leur contexte, deviennent de vraies
âneries.
Par exemple, ces histoires de
masques ou statuaires africains ayant (bêtement) « inspiré Picasso pour Les
demoiselles d'Avignon, ouvre cubiste qui fit scandale. »
La
toile, de grande dimension, est le premier tableau cubiste, influencé par la
statuaire africaine, récemment découverte.
1- Nous
sommes en pleine période coloniale, et toute personne aisée et cultivée se doit
de posséder des objets issus des colonies. Picasso, comme beaucoup, avait donc
chez lui, ou pouvait voir chez des amis des objets africains, mais aussi des
souvenirs de voyage d’autres pays. S’il s’en est inspiré, ce n’est peut-être
pas plus ou moins que d’autres artistes.
Mais c'est Picasso qui a peint Les Demoiselles d'Avignon.
Qu'il
ait possédé des objets africains n'est pas suffisant pour affirmer qu'il s'en
est inspiré et que c'est ce qui a engendré le tableau. En ce cas, d'autres
peintres auraient pu produire des ouvres de la même eau. Ne pas dire ce qui l'a
inspiré, ou aurait pu l'inspirer, lui, Picasso, dans ces masques, c'est ne rien
dire du tout. Qu'est-ce qui a pu l'inspirer, lui, dans ces ouvres africaines,
qui n'a manifestement pas inspiré de la même manière les autres artistes ?
De plus, il paraît que Picasso revendique cette influence… mais ultérieurement
aux Demoiselles (1) !
2- Les styles
de masques en
Afrique sont très divers. Alors si on ne précise pas QUELS (genre de)
masques, ça ne veut rien dire. Une exposition à Paris montrait un masque du
…Vanuhatu (!!!) comme ayant appartenu à Picasso. Donc, ce peut être des masques
ou statues océaniens qui
l'ont inspiré.
Assimiler
tous les masques, c’est faire du racisme primaire (2), du genre
« Tous des sauvages », ou « Tous les noirs se
ressemblent ».
3- La plupart
du temps, les gens ignorent la définition même du
mot « masque », qui peut désigner un objet qui couvre le corps
entier… Surtout en Afrique et en Océanie, mais aussi dans le Nord. Mais le
terme statuaire peut aussi apparaître impropre pour désigner des petits objets utilitaires
( la notion d'art est très différente selon les pays… Ainsi, une
statuette maraboutée est utile, quand la même, non encore investie par
le sorcier ou chaman, est juste bonne pour les touristes !J )
4- Il semble
que ce soit le concept, la schématisation poussée à l’extrême (3) pour le
révéler et le mettre au jour, l’épuration pour atteindre l’idée, qui peut avoir
illuminé Picasso. Donc, la simplification des formes (éventuellement…car
certains masques, africains ou non, sont très complexes et sur encombrés
d’éléments divers) n’a RIEN à voir avec le
fait qu'il ait copié telle forme d'oil ou de nez.
5- Ce n'est
pas parce que le cubisme, utilisant la démultiplication des plans, use de
droites pour fragmenter l'espace plan que ça a un rapport avec les
masques africains (pas tous) qui ont des tracés géométriques !!
6- Certains
disent que c'est Cézanne
et la statuaire ibérique (4) qui ont mené Picasso (et les autres) au cubisme.
Quid de l’Afrique ?
7- Si on s'en
réfère à la définition du/des cubisme(s), il n'est pas certain du tout que Les
Demoiselles d'Avignon soit un tableau cubiste. On peut penser qu'il y a donné naissance,
ce qui est différent (5).
8- Des tas
d'experts débattent encore sur Les Demoiselles d'Avignon, et certains
affirment que les traits de certains personnages sont dus aux
maladies vénériennes
non soignées – pas encore d’antibiotiques-, dont les
ravages donnaient exactement ces visages !! (6)
9-
D'autres
soulignent que c'est le non respect de l'unité de style, « obligatoire »
à l'époque qui fit surtout scandale, car les personnages ne sont pas représentés
de la même « manière » à gauche et à droite (7). Par contre,
que les nez soient tordus ou que les oreilles manquent…Eh bien, ça n’avait
rien pour choquer spécialement ( n’oublions pas que les Fauves firent scandale
au Salon de 1905, que l'art abstrait
occidental était en émergence, et aussi que Dada vit le jour quelques années
plus tard ).
9 bis- D'autres vont parler, à l'inverse, d'homogénéité
stylistique ! (7 bis)
10- D'autres
experts, encore, insistent sur le fait que la crudité du thème (des
prostitués attendant le client, dont certaines défigurées) était encore choquant pour l’époque.
Toujours pareil : à côté de « ça », représenter un nez tord
ou en triangle apparaissait comme dérisoire !
Bref : gardez-vous d’empiler les poncifs et
généralités ramassés ici ou là sans en préciser les sources et, d’autre part,
gardez-vous d’être catégorique sur des sujets sur lesquels les experts
eux-mêmes se disputent.
AU CONTRAIRE :
1- Montrez
que vous vous êtes documenté(e) ! Il est toujours bien vu de montrer qu'on
s’est intéressé ; et aussi qu’on s’est questionné, qu’on a cherché à
vérifier une information.
2- Le plagiat
est une activité illicite, et assez mal vue dans le milieu de l’art. Outre que
c’est illégal et passible de sanction parce qu’il s’agit d’un vol, copier sans
citer l’auteur peut aussi être assimilé à de la triche ! En ce cas, le
zéro pointé ou l’exclusion de cours ne sont pas loin.
Alors que rendre hommage à un auteur en le citant sera apprécié de tout le
monde, y compris par l’auteur.
3- Vous
pouvez remettre en doute une affirmation sans vous poser en expert. Vous en
avez le droit. On appréciera toujours que vous usiez de ce droit, du moment que
ce n’est pas par pure obtusion d’esprit ; dire « Panofsky, c’est
nul » n’apportant rien à personne…
4- Mais si
vous ne comprenez pas pourquoi Untel écrit ci ou ça, dites-le simplement. Si
vous avez des arguments montrant, selon vous, l’incohérence des arguments de
Untel, exposez-les à votre tour. Si vous pensez simplement que vous n’avez pas
pour le moment tous les éléments pour comprendre, dites-le aussi.
Ca vaut mieux que de recopier n’importe quoi, n’importe comment, pour meubler
un devoir creux.
5- Laisser la
place à une personne spécialiste pour affirmer telle ou telle chose – en citant
précisément la phrase, l’auteur et son contexte -, c’est à la fois faire preuve
d’humilité et d’intelligence, en relativisant l’information, en vous
« défaussant » J au cas où
l’argumentation serait contestable ! (Ce n’est pas vous qui le dites… Au
contraire, vous l’avez bien souligné : c’est ce que Dupont dit. Et Dupont
se place en expert… Vous, vous n’êtes qu’une personne qui se documente,
hein !)
6-
Employer le conditionnel et des prudences de style est donc
de rigueur et vous mettra à l’abri de bien des attaques. Dire « selon X,
(in « Cubisme prémonitoire et culture des haricots », page 563, ligne
12, éd. de 2004 ), Les Demoiselles d'Avignon est le premier tableau
cubiste » est inattaquable !
Écrire : « Il semblerait que ce tableau ait fait scandale pour
diverses raisons. L’une des raisons avancées par Y dans sa thèse de 1986 est
que le personnage de gauche a mal aux dents » est imparable.
7-
. Et si vous aviez du mal à remplir votre copie. Eh bien
vous allez voir que ce n'est plus le cas : toutes ces précautions
oratoires et ces citations précises et référencées prennent de la place !
En plus. ça risque d'intéresser votre prof, qui peut avoir envie d'aller lire
telle ou telle critique qu'il/elle ignorait et que vous soumettez humblement à
sa perspicacité et son appétit de savoirs. J
8- Le
professeur/lecteur n'a pas à noter votre âme, vos sentiments, votre perception.
Il ne vit pas avec vous, et n'a pas de projets matrimoniaux à votre égard.
Donc, c'est vrai : que vous aimiez ou non Les Demoiselles d'Avignon,
il s'en fiche. Et encore heureux !
Par contre, si vous expliquez pourquoi ce tableau vous révulse en argumentant à
partir du tableau en lui-même (et non de votre inconscient, car vous pouvez
bien haïr les fraises : ça n’engage pas la qualité intrinsèque du fruit),
et en citant des personnes qui partagent ce sentiment, des références précises,
toujours… votre âme n’est pas en jeu, c’est ce que le tableau (vous) communique.
C'est très différent !
Donc, dire « Je » pour relativiser une impression sera vu comme une
preuve d’humilité ; et si vous nous communiquez vos impressions, comme un
don, à visées d’information, avec des éléments précis, on vous en sera
reconnaissant.
Mme Poirier
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(1) "Nombre
de nouveaux éléments dans l’œuvre de Picasso peuvent s'expliquer à cette date (1913)
par l'attention qu'il porta à un masque de la côte d'Ivoire, du type appelé
Wobé, qui figurait dans sa collection", John Golding, Le cubisme
http://www.wobebli.net/musee/musee-masques.htm
(2) L'influence
de la statuaire africaine et celle de la statuaire ibérique nourrira un débat
qui a profondément divisé la critique et occulté jusqu'au sens plastique du
tableau.
http://humanite.presse.fr/journal/2004-03-27/2004-03-27-390857
« Sous le soleil de Mithra » :
http://www.rmn.fr/fr/03expo/01calendrier/2001/mithra/page.html
(3) De
1906 à la fin de 1907, Picasso
se défait peu à peu de sa peinture aux accents encore naturalistes et sentimentalistes
pour aller vers plus de stylisation, plus de simplification, plus
d'indépendance dans la façon d'aborder le corps humain et les rapports des
personnages entre eux.
http://www.musee-picasso.fr/pages/page_id18533_u1l2.htm
(4) L'influence
de Cézanne et de la statuaire ibérique le conduisent au cubisme, caractérisé
par la multiplication des points de vue sur l'espace-plan du tableau. In
Pablo Picasso, l'oil créateur, de Anatoli
Podoksik
http://www.alapage.com/mx/?tp=F&type=1&l_isbn=1859951139&donnee_appel=REF00
(5) Après
avoir détesté Les Demoiselles d'Avignon, Apollinaire, ami de Pablo Picasso, est
acquis. Il écrit en 1908 dans la revue berlinoise Der Sturm : "Le cubisme
si l'on veut s'exprimer avec précision est un art qui consiste dans la
recherche de la composition nouvelle avec des éléments formels empruntés ou non
à la réalité mais à la réalité de la conception."
Il ajoute plus loin " la légitimité d'une telle peinture ne peut être
discutée. Chacun comprendra facilement que la chaise de quelque côté qu'on la
regarde, ne cessera jamais d'avoir ses quatre pieds, son dos et son siège et
que si on lui enlève un de ces éléments, on enlève l'essentiel de sa
réalité".
http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/pedago/art/cola_001.htm
(6) Nez
pyramide hypertrophié // tuméfaction in Manifestations
nasales de la syphilis
http://www.med.univ-rennes1.fr/cgi-bin/adm/reponse.pl?prg=1&cod=M03615
(7)
En prenant pour simple aboutissement la rupture de style entre
la partie gauche, dite " ibérique ", et la partie droite, dite
" nègre ", Steinberg rappelle que Picasso était " déterminé
à anéantir la continuité des formes et des surfaces qui était la norme pour
l’art occidental ".
http://humanite.presse.fr/journal/2004-03-27/2004-03-27-390857
Cependant le résidu
« expressionniste » lié à la genèse des
Demoiselles (on veut parler de la crudité de l’anecdote aussi
bien que de l’agressivité des formes) s’estompe au profit
d’une véritable homogénéité stylistique,
inexistante dans le célèbre prototype. Elle trouve sa source
première dans une référence primitiviste indéniable
; le choc des arts africains et océaniens produit des effets plastiques
clairement identifiables pour ce qui est des composantes : « masques
» des personnages, équarrissage sculptural de leur anatomie.
Une séance pédagogique autour d'un
document de référence. Picasso : Les Demoiselles d'Avignon (1907)
http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/pedago/art/cola_001.htm
http://www.artsversus.com/pablopicasso/
L'art n'est pas chaste ; ou bien, s'il l'est, ce n'est pas de l'art
http://www.clioetcalliope.com/oeuvres/peinture/picasso/avignon.htm
http://www.moma.org/collection/depts/paint_sculpt/blowups/paint_sculpt_006.html
(en anglais)
http://expressions.libres.free.fr/analyse/picasso.php
(grosses fautes d'orthographe et affirmations non étayées).
Une analyse de la composition assez intéressante.
http://www.ac-amiens.fr/etablissements/0020059d/spip_gdns/article.php3?id_article=172
"La figure du corps dans les mouvements cubistes et futuristes"